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Plan détaillé

Le numérique menace-t-il le secret ?

La révolution numérique correspond au développement de l’informatique et de la révolution internet. L’apparition du numérique a permis de faire rentrer les pays occidentaux dans la société de communication. Cette société renvoie à un idéal d’ouverture et de communication mondiale, ou le flux sert de lien entre des individus géographiquement éloignés mais virtuellement reliés. A l’inverse, la notion de secret signifie étymologiquement une séparation, une distanciation. En effet, le secret désigne un objet dissimulé dont on suspecte la connaissance mais qui reste inaccessible sans initiation ou codes qui permettraient d’en déchiffrer la signification. Le secret est donc plus proche d’une société de la transmission et semble s’opposer à l’idéal actuel de communication.
La révolution numérique est-elle synonyme de société de la transparence ? Peut-on réconcilier développement numérique et culture du secret ?

I/ Le secret à l’épreuve du numérique

Les secrets sont des informations cachées, inaccessibles et spécifiques à certains aspects de nos existences. On parle globalement d’intimité ou bien pour certaines activités de secrets professionnels. Le secret est donc une barrière qui sépare celui qui sait de celui qui ne sait pas. Le numérique semble indistinctement accumuler toutes les informations existantes, rien ne pouvant lui être étranger, et encourage à l’exposition publique de ces informations, impactant de fait l’idée même de secrets intimes, professionnels ou d’Etat.

 

A) L’accumulation de données illimitées

  • La numérisation permet l’accumulation illimitée de données et touche l’ensemble des secteurs de la vie d’un individu ou d’une collectivité. Le numérique est un espace qui ne distingue pas, ne trie pas et se développe dans tous les domaines (politique/économique/sécuritaire/esthétique/sanitaire).Il correspond à un phénomène de massification de l’information qui contraste avec la dimension exclusive du secret (98% de ces informations sont aujourd’hui consignées sous forme numérique) cf. Marc Dugain et Christophe Labbé – L’homme nu. 
  • Le numérique est un solutionnisme : il apparait comme une réponse à tous les problèmes. Par conséquent, la numérisation des données est perpétuelle et les outils pour l’exploiter ou les collecter se multiplient,en témoigne la profusion d’objets connectés. A chaque problème, son objet numérique. De plus, l’objet numérique est un système ubiquitaire qui accumule des informations pour mieux orienter de manière algorithmique les envies du consommateur et ainsi permettre son « épanouissement », c’est une science prédictive qui formate autant qu’elle anticipe. Par principe, nous devons avoir le moins de secret possible pour nos applications et autres objets numériques.
  • L’ensemble des données sont stockées sur des « Data Centers », la confidentialité n’est en réalité pas préservée : programme PRISM, complexe militaro-numérique. Au contraire, un faux sentiment de protection (navigation secrète/https…) incite à dévoiler toujours plus d’informations sur soi-même. Ces informations sont en réalité revendues à des entreprises (pour preuve l’apparition de métiers en lien avec le « Big Data » ), mises à disposition des Etats dans une optique de fichage de la population ou bien utilisées pour du cyber harcèlement et autres chantages (cf. Charlie Brooker – Black Mirror / tais-toi ou dance)

 

B) L’homme nu de la société du spectacle numérique

  • De manière plus subtile, le numérique incite au dévoilement de soi de manière volontaire, car la société du numérique correspond à une société de l’image, celle-ci s’oppose au secret de la société de l’écrit. En effet, l’internet et le digital encourage à nous « mettre en scène tel que nous sommes ». Cette antithèse correspond à une société de « téléréalité », ou nous devenons progressivement l’image que nous avons créée de nous-même. Cf. Régis Debray – vie et mort de l’image en occident 
  • Ce phénomène est renforcé parla pratique de l’outing, c’est-à-dire la révélation des pratiques sexuelles d’un individu ou de ses opinions politiques : la démonstration de soi est synonyme de fierté tandis que la dissimulation est perçue comme une faiblesse ; la peur du jugement. Ces nouvelles révélations sont encouragées par les objets numériques qui invitent à se définir précisément, à « compléter son profil », mais également à s’affirmer virtuellement comme préalable à la revendication dans le domaine du réel. // Les lanceurs d’alertes trouvent dans l’outil numérique le moyen de mobiliser l’opinion publique conte l’obscurité qui entoure certaines décisions politiques.
  • Cette sollicitation volontaire ou involontaire permanente à se dévoiler et l’omniprésence des objets numériques dans notre quotidien rendent indistincts la sphère privée de la sphère publique à l’image de la frontière entre le monde professionnel et personnel qui s’est effondrée avec le développement du téléphone portable.A titre d’exemple, la distinction entre amis/proches/connaissances semble disparaitre sur internet puisque tout le monde à accès à l’ensemble des informations sur soi. Sur Facebook, vos parents sont vos amis. Pourtant, c’est bien la divulgation plus ou moins complète de son individualité qui permet normalement de distinguer le parent, de l’ami et de l’amant – en d’autres termes, de nuancer nos relations sociales. Cf Georg Simel – Secret et Société secrètes

 

Les contempteurs de la société numérique voit dans la société de communication un faux prétexte visant à l’accumulation de données dans un but de contrôle ou bien à une divulgation de soi ayant pour conséquence une servitude volontaire. L’homme et la société s’uniformise et se normalise à force d’être exposé constamment à la vue de tout le monde, c’est l’idée que développe M. Foucault (cf. Surveiller et punir) avec son concept de « panoptique » (tout voir).

 

II/ Une société du secret numérique

 

A) Un droit à la confidentialité

  • En réalité, le numérique est un espace virtuel qui répond aux mêmes exigences que le réel. C’est un champ d’action nouveau mais qui reprend l’ensemble des codes de la société humaine. Ainsi, on y retrouve une part de transparence et de secret.
  • On assiste au développement de la cybersécurité, à la multiplication de codes, à la mise en place d’une CNIL pour protéger les administrés et protéger les informations qui nous concernent. Plus qu’un droit à la confidentialité, un droit à l’oubli permet même un déréférencement, il semblerait que face à l’incitation du numérique à nous dévoiler, le législateur mette en place des possibilités de dissimulation pour compenser les excès auxquels nous invitent les plateformes numériques ou les objets connectés.Article 12 de la DDHC de 1948, « Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile, ou sa correspondance, ni d’atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes ». 
  • Le numérique entraine des excès du fait d’un manque de sensibilisation sur les dangers de ces nouvelles interfaces. Un travail pédagogique à l’égard des plus jeunes doit pouvoir réguler les pratiques. Il faut percevoir le numérique comme un outil qui n’est en soi pas autonome, ni porteur d’une finalité pratique. Le numérique reste un moyen qui peut être encadré afin d’éviter l’exhibition de soi. Il faut distinguer « l’objet numérique » de la « pratique du numérique ».

 

B) La démultiplication du secret

  • Paradoxalement, l’anonymat sur internet est possible : le Darknet est un ensemble de réseaux qui propose des sites non indexés par les moteurs de recherche.Il semblerait donc que cet espace soit au contraire un lieu où l’on puisse se mouvoir sans se faire repérer. L’utilisation de pseudo, de fausses informations personnelles et d’avatar sont autant de masques et d’inventions qui relèvent du secret.
  • Également, l’écran d’ordinateur ou de téléphone est un intermédiaire qui ne permet pas de savoir qui se dissimule derrière l’écran. C’est tout le problème de la radicalisation sur internet qui rend difficile l’association d’un individu précis avec la recherche illégale. Le numéro IP renvoie à une personne titulaire d’un contrat chez un opérateur mais ne renseigne par sur l’utilisateur de l’ordinateur.
  • La théorie du complot se multiplie du fait de la relativisation du vrai et du faux ce qui est propice à l’idée de secret compris comme dissimulation d’une vérité. Le numérique est donc fondamentalement par l’internet un démultiplicateur de secret. Les révélations sur internet peuvent être des « fakes news », qui suscitent fantasmes et rumeurs. La confusion entre le réel et l’irréel favorise la dimension imaginaire et fictive de l’homme qui se nourrit de secrets, c’est-à-dire de vérités cachées et les démultiplie pour simplifier le réel, cf. Pierre André Taguieff – court traité de complotologie. 
  • Enfin, la profusion d’informations numérisées est aujourd’hui une stratégie de dissimulation pour des entreprises et des individus. Derrière l’apparence d’une surexposition, se cache une dissimulation des informations déterminantes. En effet, une information secrète est aujourd’hui noyée dans une masse d’informations vraies, restant ainsi réellement « caché à la vue de tous ». Cet anonymat de la foule, prouve que la prolifération d’informations n’est pas synonyme de transparence puisqu’il est nécessaire de disposer de codes pour distinguer le vrai du faux, le révélé du dissimulé.

 

Le numérique semble en apparence menacer le secret, pourtant la transparence véhiculée par ses nouveaux objets connectés semble illusoire, le secret continue à se développer sur internet et dans la société du tout numérique. En effet, la révolution numérique n’a pas entraîné la mise en place d’une démocratie directe et transparente, ni même une société totalement uniformisée, preuve que le secret subsiste. Cependant, les avancées technologiques et les recherches sur l’homme augmenté rendent toujours plus envisageable une société de contrôle tel que présentée par Orwell dans sa dystopie 1984. La fiction reste une fiction, bien que l’homme élabore actuellement  les moyens de la rendre réalisable.

 

Lucas Leroux